samedi 26 février 2011

Une énigme dans "Les nuits facétieuses" de Straparola

Ce n'est pas ce que je préfère chez Straparola, les énigmes posées à la fin de chaque récit, aussi j'avais plutôt tendance à ne les parcourir que très distraitement, mais celle ci m'a attiré l'oeil quand même... Extrait :
Je suis encore jeune, en la fleur de mes ans,
Toutefois, je suis mère à qui m'a donné vie,
A mon père grison, dont la tête envieillie,
Trébuche à chaque pas sur ses genoux tremblant;
Et du lait nourricier qui de mes tétins blancs
Enfle mollettement la voussure arrondie
Je nourris un enfant qui jeune m'a nourrie,
Et épousa ma mère, il y a longtemps.
Donc trois et quatre fois heureuse et fortunée
Soit l'heure et le moment de l'heureuse journée
Que première je vis la lumière des cieux,
Puisqu'il fallait ainsi que je fusse fille et mère,
Et que de ma mamelle (ô grand'bonté des dieux!)
J'allaitasse l'enfant qui vieillard est mon père.
... la demoiselle se prêtant à rire, l'interpréta en ces termes : "Il était un bon vieillard innocent qui, contre toute justice et équité, avait été condamné à une perpétuelle prison, où l'on ne lui donnait rien à manger, afin qu'il mourût de faim; sa fille, sachant ce jugement, allait tous les jours visiter ce brave homme, et le nourrissait du lait de sa mamelle, l'allaitant comme un petit enfant. ainsi étant fille elle devint mère, nourrissant celui qui l'avait engendrée"
Dans "Les nuits facétieuses "( paru en 1550), les enfants des héroïnes semblent être systématiquement confiés à des nourrices... Voir au sujet de l'appropriation par les hommes du corps des femmes l'article précédent sur l'histoire du sein. En effet, on peut se demander aussi, comme dans la plupart des Charités Romaines, où est l'enfant grâce auquel la jeune femme a du lait... La mortalité infantile était-elle la norme à ce point là ? Le machisme des artistes tel, que la question ne se posait même pas ? 
Ce qui m'amuse dans cette version  (contrairement aux versions romaines) c'est que le vieillard est considéré comme innocent.
STRAPAROLA Giovan Francesco, Les nuits facétieuses, traduction et postface de Gayraud Joël,  José Corti 1999

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