samedi 15 mars 2008

Piété filiale, Charité Romaine

Extraits de Le sein dévoilé du Docteur Gros, éditions Stock- Laurence Pernoud

La vie en société enseigne que l'enfant ne doit pas prolonger sa relation au sein, car la frontière devient vite floue entre nutrition et érotisme. Dans la même perspective, l'homme adulte ne doit pas sucer le lait à sa source. Pourtant, l'histoire, l'art et l'ethnologie montrent que les seins gorgés de lait ne sont pas toujours le privilège exclusif des nourrissons. Mais seules les nécessités de la physiologie, parées de la noblesse des intentions, peuvent justifier l'allaitement des adultes.
Ainsi est née la légende antique de *Cimon et Péra, rapportée par Pline l'Ancien et qui se retrouve sous des formes variables, dans de nombreuses civilisations.
Un vieil homme, Cimon, avait été condamné à mourir de faim dans sa prison. Le geôlier par compassion, laissa pénétrer la fille de celui-ci, Péra.
S'étonnant qu'après quelques jours le vieillard soit encore en vie, il s'aperçut lors que s fille le nourrissait de son lait. La nouvelle de cet acte surprenant parvint aux juges qui, devant cet acte de dévouement et d'amour filial, accordèrent la grâce au vieil homme. D'après Pline, l'endroit de la prison, on construisit un temple consacré à l'amour filial, devant lequel on éleva une colonne qui fut nommée la " colonne du lait ", et au bas de laquelle on exposa par la suite les enfants trouvés. Ce lieu devint le " marché aux nourrices ".

La légende inspira de nombreux peintres du 17e siècle européen. Les tableaux étaient désignés du nom de Charité Romaine ou Piété Filiale. Donner le sein à son père exprime la miséricorde et le dévouement ; c'est une victoire sur soi-même et sur la transgression de la loi qui interdit tout contact charnel entre un père et sa propre fille . La transgression est sanctifiée par l'amour et prend appui sur le texte de Saint Matthieu : " Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ". Cette légende fut abondamment représentée. Plus de 200 œuvre sont actuellement répertoriées, signées par Rubens, Le Brun, Vouet, Caravage et tant d'autres.

L'histoire de Cimon et Péra tint lieu d'allégorie de la charité agissante.
Le thème s'intégrait dans la réalité historique, sociale et religieuse de l'époque. Le 17e siècle a en effet engendré la vogue des activités de bienfaisance. Les institutions caritatives se sont multipliées ; de riches particuliers encouragés par le clergé et Saint Vincent de Paul se consacrèrent l'assistance des pauvres. La doctrine de la charité fut affirmée avec force par un catholicisme redevenu conquérant et répondant à l'enseignement des protestants, qui déniaient aux bonnes œuvres la capacité de participer au salut de l'homme. Dans une telle idéologie, donner son sein devenait le symbole de la charité et du don fait à autrui, aux pauvres et aux affamés.


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